Violoniste, compositeur, musicologue, écrivain, André Hodeir, (1921/2011), aura joué un rôle aussi décisif que discret. Respecté, aimé, dans les mondes du jazz et bien au-delà ; intimidant, caustique, séduisant, Hodeir est ce dilettante activiste à qui Quincy Jones dit un soir, à la fin des années 1950 : "Tu vois, tout ça, c'est bien joli, mais ça ne nous remplit pas le portefeuille." Ils étaient aussi fauchés l'un que l'autre : "Désormais, il va falloir faire de la musique pour les gens qui n'ont pas d'oreille. Mais toi, André, tu n'y arriveras jamais". Hodeir est alors un compositeur et théoricien célèbre aux Etats-Unis comme en France.
Triple prix au Conservatoire où Messiaen est l'un de ses maîtres (1947) ; animation de la revue Jazz Hot (1947-1950) ; amitié avec le batteur Kenny Clarke, âme du "bop" ; direction musicale de James Moody ou Don Byas (saxophonistes) ; partenaire de Django Reinhardt ; musicologue exigeant ; fondateur du Jazz Groupe de Paris ; analyste, sans précédent et sans successeur, de Thelonious Monk ; auteur de fables pour enfants ; responsable de programme à l'Ircam ; compositeur pour plusieurs cinéastes (Ado Kyrou, Paul Paviot) ; romancier (Play-Back, chez Minuit, en 1983, Muzikant, au Seuil, en 1987) ; créateur enfin de l'oeuvre des oeuvres, la cantate Anna Livia Plurabelle (1971, d'après James Joyce, voix de Monique Aldebert et Nicole Croisille).
On en fait souvent l'austère "surmoi" du jazz. Il faudrait alors se demander pourquoi les musiciens dont le style de vie lui ressemble peu, Kenny Clarke, Bobby Jaspar, Jean-Louis Chautemps, Donald Byrd, étaient ses préférés. Pourquoi John Lewis, Gil Evans, George Russell le considéraient comme un des leurs. Pourquoi l'album enregistré à New York, American Jazzmen Play André Hodeir est éblouissant. Pourquoi il fut pour John Lewis, du Modern Jazz Quartet, "celui qui indique des directions et donne des idées nouvelles".